Peut-on vraiment remplacer un MacBook par un iPad ?

Mon retour d’expérience de développeur après 5 ans d’utilisation exclusive

Introduction

Je suis développeur depuis plus de 40 ans. J’ai découvert le code à 12 ans, rapidement plongé dans le BASIC puis l’assembleur sur les premièrs ordinateurs personnels 8 bits. J’ai fait mes armes dans la demoscene, participé à ses débuts, et développé ensuite des solutions logicielles sur quasiment tous les niveaux du code : du bas niveau (assembleur lié au hardware, C et C++), jusqu’au traitement massif de données et à l’intelligence artificielle à l’époque qui parait déjà si lointaine de son dernier hiver. Mon domaine principal aujourd’hui : les applications de traitement de données pour le marketing direct, avec toutes les contraintes métier, légales et techniques associées (redressement des adresses aux normes postales, RGPD, traitement de données imparfaites, sécurité, performance, cookies…).

Ce long parcours m’a amené à tester une quantité invraisemblable de machines, d’environnements de développement et de systèmes d’exploitation. Et pourtant, depuis plus de 5 ans maintenant, je travaille quasi exclusivement sur iPad, en utilisant des serveurs distants pour le traitement, le calcul, le stockage et l’exécution.

Loin d’un simple gadget ou outil d’appoint, l’iPad est devenu ma machine principale. Une tablette tactile, multitouch, avec des apps pensées pour la concentration, mais aussi un outil de travail de haut niveau pour le développement, la bureautique, la recherche et l’organisation personnelle.

Cet article n’est pas un test produit ni une énième tentative de répondre à la question marketing qui revient immanquablement sur les réseaux et dans la presse spécialisée à chaque changement dans iPadOS ou le matériel : « Est-ce que l’iPad peut remplacer un MacBook ? ». C’est un retour d’expérience, concret, technique, issu de la pratique. Voici comment je travaille aujourd’hui sur iPad, pourquoi j’en suis là, ce que j’y gagne, et aussi ce qui manque.

Pourquoi l’iPad est devenu ma machine principale

Une évolution naturelle, pas un pari fou

L’idée de travailler sur un iPad ne m’est pas tombée dessus d’un coup. C’est le fruit d’un parcours cohérent, au fil de plusieurs décennies de pratique et d’expérimentation.

J’ai commencé mon parcours informatique sur le Commodore 64, très rapidement en assembleur et à proximité du matériel, comme beaucoup de ma génération. Puis je suis passé à un Acorn Archimedes A3000, et plus tard à un Acorn RiscPC — des machines en avance sur leur temps, avec une architecture élégante (RISC), un système multitâche réactif, et un rapport direct entre l’utilisateur et la machine. J’ai ensuite utilisé un PC bi-processeur avec BeOS, un autre OVNI du monde informatique, avant de basculer sur Mac à la sortie de Mac OS X. Là encore, Unix sous le capot, une interface fluide et un système pensé pour l’utilisateur.

Et quand l’iPad est arrivé, ce n’a pas été un remplacement immédiat, mais une transition progressive : d’abord pour la prise de notes, puis pour de la bureautique, et aujourd’hui comme poste de travail principal.

Pourquoi ce choix ? Pour plusieurs raisons qui tiennent autant à l’outil qu’à ma manière de travailler.

Portabilité absolue

L’iPad est tout simplement la machine la plus portable que j’ai jamais utilisée sans sacrifier la qualité. Le modèle 11 pouces est idéal pour les déplacements — ultra-léger, rapide à démarrer, toujours prêt. Pour les sessions plus longues ou confortables, je suis passé au 13 pouces, tout en gardant cette mobilité intacte. En déplacement, je le glisse avec le Magic Keyboard. Chez moi, il s’intègre à un setup de bureau complet avec écran externe, dock Thunderbolt, clavier mécanique et trackpad.

Une versatilité unique

Ce qui fait la différence avec un MacBook ou un laptop classique, c’est cette double nature : • D’un côté, une tablette tactile multitouch, idéale pour dessiner, annoter, ou brainstormer à la volée avec le Pencil. • De l’autre, une machine de production complète, avec terminal, éditeur de code, navigateurs, outils d’analyse, etc.

Je peux passer d’un mindmap dessiné à la main à une session shell sur un serveur distant en quelques gestes. Et surtout, je peux le faire sans rupture d’usage, avec une cohérence visuelle et gestuelle rare.

Une interface qui favorise la concentration

Contrairement aux environnements de bureau classiques où les fenêtres s’empilent et les distractions abondent, l’interface d’iPadOS pousse naturellement à la concentration. En split-view, je peux coder d’un côté, afficher la documentation ou un terminal de l’autre. En mode Stage Manager avec écran externe, je garde l’iPad en mode vertical à droite, ce qui me donne un second écran tactile, idéal pour Face ID et quelques apps secondaires.

Cette organisation fluide me permet de rester concentré sur une tâche, tout en ayant un multi-fenêtrage ciblé, sans tomber dans l’excès de fenêtres dispersées.

Un matériel d’exception

L’iPad Pro M4 13 pouces que j’utilise aujourd’hui est un concentré de technologie : • Un processeur M4 très performant, parfaitement capable de faire tourner des émulateurs, des LLMs en local ou des applis lourdes, sans jamais sacrifier l’encombrement et la consommation. • Un écran magnifique, précis et lumineux. • Des haut-parleurs puissants, bien au-dessus de ce que proposent les laptops classiques. • Et Face ID, devenu indispensable quand on l’utilise plusieurs heures par jour.

C’est une machine extrêmement silencieuse (refroidissement passif), toujours disponible instantanément, toujours fluide — un vrai confort de travail.

Une sécurité pensée pour les pros

Travailler sur iPad, c’est aussi avoir une certaine tranquillité d’esprit : • L’iPad est difficilement exploitable en cas de vol. • Le chiffrement est matériel et automatique. • La localisation, l’effacement à distance, la biométrie : tout est intégré. • Et les sauvegardes iCloud, bien que simples, fonctionnent très bien pour l’usage que j’en fais.

L’isolation des apps d’iPadOS, souvent pointée comme une limitation, est dans mon cas une protection naturelle : chaque chose à sa place, chaque permission contrôlée.

Mon environnement de développement sur iPad

Depuis plusieurs années, je développe exclusivement sur iPad… en m’appuyant sur des serveurs distants. C’est une manière de travailler qui est professionnelle et naturelle, mais qui demande un peu de rigueur au départ. Une fois l’écosystème en place, tout est fluide, fiable, et même agréable à utiliser au quotidien.

Un stack technique complet

Mon environnement de travail principal couvre un large éventail d’outils et de langages : • Python et une sélection de Bases de données pour l’essentiel du backend • Développement Web pour le frontend (HTML, CSS, JavaScript) • Des LLMs en local pour prototypage ou assistance IA • Et même, pour le plaisir, un peu de code assembleur 6502 et des outils d’émulation de machines 8-bit

La majorité de mes projets tournent sur des serveurs Linux distants, et mes expérimentations avec l’IA sur un Mac Studio local pour les modèles les plus lourds.

Des outils adaptés à iPadOS

Travailler efficacement sur iPad suppose d’avoir les bons outils. Voici ceux qui composent mon environnement aujourd’hui :

🐚 BlinkShell

C’est le cœur de mon activité terminal : un shell moderne avec support de mosh (très utile pour garder une session utilisable même avec une connexion instable) et une excellente gestion des claviers physiques et de l’écran externe. J’utilise tmux intensivement, avec une configuration adaptée au clavier de l’iPad qui a pu être limité par le passé.

🗂️ Shellfish

Une app indispensable, qui me permet d’intégrer les systèmes de fichiers distants directement dans l’application Fichiers d’iPadOS. Résultat : je peux accéder aux répertoires de mes serveurs comme s’ils étaient locaux. Pour ceux qui recherchent une solution tout en un, ShellFish intègre même un terminal.

📝 Textastic

Un éditeur de code complet et rapide, qui prend en charge la coloration syntaxique, les fenêtres multiples et les previews web, avec une bonne gestion des fichiers distants (via Shellfish ou l’intégration GIT avec Working Copy). BlinkShell intègre localement une version web de VSCode mais je préfère un éditeur séparé.

🧠 Reins

J’utilise cette app comme frontend léger pour interagir avec mes LLMs locaux. C’est une manière de garder une forme d’assistant personnel, sans envoyer de données en ligne.

🔍 Inspect Browser

Un navigateur web avec outils de debug intégrés (console, DOM, etc.), utile pour des tests rapides d’interfaces.

📁 Gestion de fichiers

Le gestionnaire de fichiers iPadOS, surtout en split-view ou avec Stage Manager, est très efficace pour mon usage. Je l’utilise la plupart du temps avec deux fenêtres côte à côte (vous avez dit Norton Commander ?)

🔄 Working Copy

Un client GIT très solide. Je l’utilise au quotidien pour synchroniser mes projets hébergés sur GITEA, ou des collaborations via GitHub.

Le nouveau local… c’est le serveur

Il faut le dire clairement : je ne cherche pas à faire tout tourner localement sur l’iPad. Ce serait une erreur de conception.

Mon approche est fondée sur le principe suivant : le poste de travail devient un client intelligent, pas une station de calcul.

C’est exactement ce que l’iPad permet mieux que n’importe quel laptop : • Autonomie exceptionnelle • Silence absolu • Interface ultra fluide • Accès instantané à mes outils via SSH, Git, navigateur ou apps connectées

Et tout cela, sans perdre en réactivité ou en confort de travail.

Bureautique et organisation : l’iPad comme hub quotidien

Même si mon activité principale reste le développement, l’iPad me sert aussi à gérer les aspects plus transversaux de mon travail : planification, documentation, échanges, prise de notes, synthèses, recherches. Et sur ce terrain, l’iPad excelle par sa fluidité, sa réactivité et sa polyvalence.

Outils bureautiques : fluidité et compatibilité

Je jongle au quotidien entre différents formats de documents, avec un mix d’outils Apple, Microsoft et autres éditeurs : • Office 365 pour les documents collaboratifs partagés, surtout côté entreprise. • Pages et Numbers pour des documents personnels ou des feuilles de calcul personnelles. • WPS Office en complément, notamment pour sa compatibilité avec certains documents Word mal formatés.

Prise de notes, idées et organisation

Là, l’iPad est dans son élément. J’utilise plusieurs apps complémentaires : • L’application Notes intégrée pour la prise de notes rapide, des brouillons ou des idées. • Things 3 pour la gestion de tâches, projets, suivis — c’est mon GTD personnel, propre et visuel. • MindNode pour les brainstorms, les synthèses complexes, la préparation de specs ou d’articles, l’iPad se prête formidablement bien aux canevas infinis (l’application FreeForm d’Apple en est aussi un bon exemple).

Cette partie du workflow a beaucoup profité du format tablette : la capacité à passer du clavier au crayon, du terminal à une carte mentale, sans friction.

Recherche, IA

• Perplexity pour la recherche en ligne (plutôt que Google ou Bing). • LLMs locaux (via Reins) pour la génération de texte, d’aide au code ou d’analyse. Le fait de pouvoir héberger ça sur mon Mac Studio et y accéder de manière fluide depuis l’iPad est un vrai confort. Le Mac Studio est la seule entorse aux serveurs distants : c’est le meilleur compromis à date en terme de puissance et de sécurité des données : fini les données qui transitent aux USA ou en Chine. • Enpass qui est un bon gestionnaire de trousseau multi-plateformes pour la gestion de mots de passe et des accès.

Les limites (?) de l’iPad

Quand on évoque le travail sur iPad, les critiques ne manquent pas : « C’est pas un vrai ordi », « on ne peut rien faire en local », « c’est juste bon pour de la prise de notes », « c’est pour consommer des medias » etc…

Mais pour mon usage — professionnel, technique, structuré autour de serveurs distants — ces critiques tombent souvent à côté de la plaque.

Cela dit, tout n’est pas parfait, et voici quelques limites que l’on peut rencontrer, et pourquoi je pense qu’elles ne sont pas bloquantes.

Pas de terminal système natif ni de conteneurs locaux

Il n’existe pas de shell système natif sur iPad comme sur macOS ou Linux. Impossible d’accéder aux couches basses de l’OS ou d’exécuter des scripts shell en local.

Mais les environnements réellement pros de développement / tests / production devraient normalement êtrer sur des serveurs locaux et distants. L’iPad me sert de terminal graphique ultra-portable, avec les bons outils (BlinkShell, Shellfish, etc.). Pour les rares tests locaux, on pourra utiliser les excellents ashell et carnets.

Les IDEs “complets” manquent à l’appel ainsi que certaines applications pro

Il n’existe pas de version native de VS Code, ou Xcode. Peu d’outils de CAD, les fonctionnalités des déclinaisons iPad des logiciels pros sont à tort plus limitées : ceci est un problème d’éditeurs et d’écosystème, l’iPad est tout à fait capable de faire fonctionner des outils puissants, équivalents à leurs version desktop : on pourra toutefois se désoler que peu d’éditeurs jouent le jeu, alors que dans le domaine créatif des applications natives puissantes ont pu voir le jour (Procreate, Affinity…)

Le prix

C’est un argument récurrent : « Pour le prix d’un iPad Pro avec Magic Keyboard, tu pourrais avoir un MacBook Pro ».

On ne devrait pas comparer directement les deux, les modes d’interaction sont fondamentalement différents : un MacBook ne peut pas devenir une tablette. Il n’a pas le multitouch. Il n’a pas le Pencil, ni faceID. Il ne fait pas ce que l’iPad fait naturellement. l’OS n’est pas adapté (et l’inverse ne fonctionnerait pas, Microsoft s’y est essayé, l’approche d’Apple d’augmenter progressivement le mode « pro » d’iPadOS sans sacrifier l’accessibilité en mode tablette me semble mieux adaptée) Dans mon cas, l’iPad me remplace deux appareils : le laptop + la tablette. Le tout en étant plus léger, plus mobile, plus modulaire. Avec l’évolution de la gamme et l’introduction d’iPad OS 26, il est aussi aujourd’hui possible de s’équiper correctement à moindre coût.

En conclusion : un outil polyvalent, exigeant, mais étonnamment universel

Le problème des comparaisons, c’est que beaucoup évaluent l’iPad comme s’il devait faire exactement ce qu’un MacBook fait. Mais c’est une erreur de perspective.

L’iPad n’est pas un MacBook. Et c’est justement pour ça qu’il m’a convaincu.

Ce que je perds en possibilités par rapport à un « ordinateur », je le gagne en légèreté, en silence, en autonomie, en interface directe, en sécurité, en maintenance. Ce que je gagne en flexibilité, je ne le retrouve nulle part ailleurs.

Après plus de cinq ans d’utilisation quasi exclusive de l’iPad comme machine principale, je peux dire que ce n’est pas un compromis, c’est un choix affirmé. J’ai trouvé un environnement de travail cohérent, stable, léger, mobile — mais aussi profond, structuré, puissant, dès lors qu’on s’appuie sur les bons outils et la bonne architecture de travail.

L’iPad réussit un véritable tour de force : il est à la fois une machine de production sérieuse, capable d’accompagner des développeurs expérimentés dans des workflows complexes… et une machine accessible, intuitive, fluide, que n’importe qui peut prendre en main sans formation, pour écrire un mail, naviguer sur le web, prendre des notes, ou faire du montage vidéo.

Et même dans le domaine du développement natif, on voit les premiers signes d’ouverture : Swift Playgrounds permet déjà de coder et de compiler des apps iOS directement depuis l’iPad. Ce n’est pas encore l’environnement de travail idéal pour des projets professionnels natifs, mais le mouvement est là, progressif, à la manière d’Apple : sans casser ce qui fonctionne, en affinant.

Avec iPadOS 26, Apple continue d’ouvrir des portes tout en préservant l’essence même de la tablette : une interface directe, réactive, sans complexité inutile. Et c’est peut-être là le plus grand accomplissement : avoir su évoluer sans se trahir.

C’est une plateforme à part entière.

Et pour moi, c’est l’évolution la plus aboutie à ce jour de l’ordinateur personnel. « A computer for the rest of us », 40 ans plus tard.